Qu’est-ce qu’un bien sans maitre?

L’appropriation des immeubles sans maître constitue un mode d’acquisition de la propriété exorbitant du droit commun.

Le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) précise, dans le contexte de la dévolution des biens sans maître aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre dont elles sont membres, leur définition (art. L. 1123-1 du CG3P) et les modalités de la procédure d’appréhension des biens « présumés » sans maître (arts. L. 1123-3 et L. 1123-4 du CG3P).

Au plan formel, les prescriptions relatives aux biens sans maître sont scindées : celles concernant la définition et les modalités d’acquisition des biens sans maître sont intégrées dans la première partie du code relative aux acquisitions des biens (arts. L.1123-1 à L.1123-3 du CG3P) ; celles qui régissent la restitution des immeubles sans maître sont insérées dans la deuxième partie consacrée à la gestion des biens du domaine privé (art. L.2222-20 du CG3P).

Les biens sans maître appartiennent aux communes sur le territoire de laquelle ils sont situés. Toutefois, la commune peut, par délibération du conseil municipal, renoncer à exercer ces droits sur tout ou partie de son territoire au profit de l’EPCI à fiscalité propre dont elle est membre.

Si la commune ou l’EPCI renonce à exercer ses droits, la propriété est transférée de plein droit :

– Pour les biens situés dans les zones définies à l’article L. 322-1 du code de l’environnement, au Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (CELRL) lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, au conservatoire régional d’espaces naturels (CREN) agréé au titre de l’article L. 414-11 du même code lorsqu’il en fait la demande ou, à défaut, à l’Etat ;

– Pour les autres biens, à l’Etat.

1°) La définition des biens sans maître

A l’exception des successions en déshérence pour lesquelles l’Etat a été envoyé en possession (cf. art. L. 1122-1 du CG3P), sont considérés comme n’ayant pas de maître :

– les biens immobiliers faisant partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté ;

– les immeubles n’ayant pas de propriétaire connu et pour lesquels, depuis

plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers ;

– les immeubles n’ayant pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties n’a pas été acquittée ou a été acquittée par un tiers.

Cette définition consacre donc l’existence de trois catégories distinctes de biens sans maître.

Sous l’angle des modalités d’acquisition des personnes publiques est maintenue une distinction d’ordre procédural entre ces différentes catégories.

> Les biens faisant partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté

Le 1° de l’article L. 1123-1 du CG3P définit cette catégorie de biens sans maître.

En premier lieu, les biens dépendant d’une succession en déshérence en application de l’article L. 1122-1 du CG3P qui appartiennent à l’Etat ne constituent pas des biens sans maître et, par conséquent, ne sont pas susceptibles d’appartenir aux communes ou aux EPCI.

Seul l’Etat peut prétendre aux successions des personnes qui décèdent sans héritier et aux successions abandonnées. Celles-ci consistent
en une universalité de patrimoine et non en un bien immobilier isolé ; elles proviennent de personnes décédées sans héritiers au degré successible et sans avoir consenti de legs universels. Elles appartiennent à l’Etat en vertu de son droit de souveraineté, quelle que soit la date du décès des personnes considérées. Ces successions sont appréhendées par l’Etat selon les modalités fixées au premier alinéa de l’article 811 du code civil et à l’article 1354 du code de procédure civile.

Les biens immobiliers individualisés, qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté constituent des biens sans maître proprement dits. Par détermination de la loi, ils appartiennent aux communes/EPCI ou, en cas de renonciation, à l’Etat/au CELRL/au CREN (articles 713 du code civil et L. 1123-2 du CG3P).

Cette catégorie de biens comprend, en pratique, les biens immobiliers dont le propriétaire, identifié, est décédé depuis plus de trente ans, sans héritier, ou en laissant des héritiers n’ayant pas accepté la succession, expressément ou tacitement, pendant cette période.

Le décès (ou l’absence qui produit les mêmes effets que le décès en application de l’article 128 du code civil) doit être établi avec certitude pour que la commune/l’EPCI puisse faire valoir ses droits à l’égard du bien concerné.

De même, les biens immobiliers individualisés des personnes qui sont décédées depuis moins de trente ans, sans héritier ni légataire universel ou dont les héritiers ont refusé la succession, ne peuvent appartenir aux communes/EPCI. Au-delà de cette période de trente ans à compter du décès, ces biens immobiliers peuvent être acquis par les communes/EPCI au titre des biens sans maître.

> Les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels la taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée depuis plus de trois ans ou a été acquittée par un tiers

1ère condition : Le propriétaire de l’immeuble ne doit pas être connu.

Il s’agit :

– des situations dans lesquelles, pour un immeuble déterminé, il n’existe aucun titre de propriété publié au fichier immobilier des services de la publicité foncière ou au livre foncier ni aucun document cadastral susceptibles d’apporter des renseignements quant à l’identité du propriétaire ;

– des biens immobiliers qui, ayant appartenu à une personne connue a disparu sans laisser de représentant identifié et qui ne sont devenus la propriété d’aucune autre personne.

2ème condition :

La taxe foncière sur les propriétés bâties n’a pas été acquittée depuis plus de trois années ou a été acquittée par un tiers.

La commune/l’EPCI ou à défaut l’Etat/le CELRL/le CREN, ne peut appréhender les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu que lorsque les taxes foncières afférentes à l’immeuble n’ont pas été payées ou ont été payées par un tiers soucieux de pérenniser une situation de fait, aux lieu et place de leur débiteur inconnu.

Les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels la taxe foncière sur les propriétés non bâties n’a pas été acquittée depuis plus de trois ans ou a été acquittée par un tiers

Ce nouvel item concerne notamment les bois et forêts sans maître, qui répondent à la définition du 3° de l’article L. 1123-1 du CG3P.

Ces dispositions ne font pas obstacle à l’application des règles du droit civil relatives à la prescription.

2°) Les modalités d’acquisition des biens sans maître

En application des articles L. 1123-2 et L. 1123-3 du CG3P, les biens sans maître sont acquis par la commune/l’EPCI ou l’Etat/le CELRL/le CREN, soit de plein droit, soit au moyen d’une procédure spécifique.

A l’issue de l’enquête permettant de s’assurer que le bien qu’elle se propose d’appréhender est effectivement sans maître, la commune ou l’EPCI doit déterminer la procédure à mettre en œuvre pour incorporer le bien dans son domaine.

>Acquisition de plein droit des immeubles sans maître « proprement dits »

Le principe est celui de l’acquisition de plein droit par les communes/EPCI ou, à défaut, par l’Etat/le CELRL/le CREN, des biens sans maître proprement dits.

Cependant, ce régime d’appropriation est cantonné aux biens mentionnés au 1° de l’article L. 1123-1, c’est-à-dire à ceux qui font partie d’une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s’est présenté.

La loi ne prévoit aucune formalité particulière pour l’appréhension de cette catégorie de biens.

En pratique toutefois, dans le cas d’un transfert du bien dans le domaine de l’Etat, il sera recouru à un arrêté préfectoral pour constater ce transfert.

S’agissant des communes/ECPI, du CELRL ou des CREN, il paraît prudent, afin d’éviter toute difficulté ultérieure, que ces collectivités et établissements prennent une délibération permettant de formaliser l’acquisition envisagée.

> Acquisition selon les modalités prévues à l’article L. 1123-3 du CG3P des immeubles présumés sans maître

a) Champ d’application de l’article L. 1123-3

Il est constitué des immeubles pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés bâties a été acquittée par un tiers ou n’a pas été acquittée, soit parce qu’elle fait l’objet d’une exonération, soit parce que la cotisation due est inférieure au seuil de mise en recouvrement.

Ainsi, le paiement des taxes foncières par un tiers ne peut pas faire obstacle au déclenchement de la procédure de constatation de la vacance.

Par ailleurs, dans la mesure où la rédaction du 2° de l’article L. 1123-1 du CG3P conduit à englober les immeubles qui ont appartenu à une personne connue et disparue sans laisser de représentant identifié et qui ne sont pas devenus la propriété d’une autre personne, les biens en cause doivent également faire l’objet de la procédure décrite à l’article L. 1123-3.

b) Mise en œuvre de la procédure d’acquisition

– Procédure poursuivie par la commune ou l’EPCI

La procédure d’appréhension comporte deux phases distinctes : la commune ou l’EPCI doit d’abord constater que le bien est présumé sans maître (avis de la commission communale/intercommunale des impôts directs => arrêté du maire/président de l’EPCI constatant l’absence de propriétaire connu et de paiement des contributions foncières [ou leur paiement par un tiers] => accomplissement des mesures de publicité) avant de l’incorporer dans son domaine (délai de 6 mois => délibération du conseil municipal/de l’organe délibérant de l’EPCI et arrêté du maire/président de l’EPCI constatant l’incorporation).

Compte tenu du champ d’application étendu de la procédure, l’arrêté du maire/président de l’EPCI constatant que l’immeuble est présumé sans maître doit également être notifié, non seulement au dernier propriétaire connu et à l’habitant ou l’exploitant, mais aussi, s’il y a lieu, au tiers qui a acquitté les taxes foncières.

– Procédure poursuivie par l’Etat, le CELRL ou le CREN

A défaut de délibération portant incorporation dans le domaine communal ou de l’EPCI prise dans le délai de 6 mois à compter de la date à laquelle il a été constaté que le bien est présumé sans maître, la propriété du bien est attribuée au CELRL/CREN ou à défaut à l’Etat et son transfert dans le domaine de ces personnes est constaté par une décision de l’établissement, ou un arrêté préfectoral qui est publié au fichier immobilier.

> Acquisition selon les modalités prévues à l’article L. 1123-4 du CG3P des immeubles présumés sans maître

a) Champ d’application de l’article L. 1123-4

Il est constitué des immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu, qui ne sont pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties et pour lesquels, depuis plus de trois ans, la taxe foncière sur les propriétés non bâties a été acquittée par un tiers ou n’a pas été acquittée, soit parce qu’elle fait l’objet d’une exonération, soit parce que la cotisation due est inférieure au seuil de mise en recouvrement.

b) Mise en œuvre de la procédure d’acquisition

l’article L. 1123-4 ne prévoit pas la possibilité pour la commune de renoncer à ses droits au bénéfice de l’EPCI dont elle est membre.

La procédure est enclenchée par les services de l’Etat : signalement au préfet par les DRDFIP au 1er mars de chaque année des immeubles en cause => transmission au plus tard le 1er juin de chaque année de la liste de ces immeubles aux maires (arrêté municipal faisant l’objet de plusieurs mesures de publicité : publication, affichage, notification aux derniers domiciles et résidence du dernier propriétaire connu ou à l’habitant ou exploitant ou au tiers ayant acquitté les taxes foncières) => délai de 6 mois => si personne ne s’est fait connaitre l’immeuble est présumé sans maître à la suite d’une décision préfectorale notifiée au maire.

La commune peut alors, par délibération, décider de son incorporation dans le domaine communal, qui sera ensuite actée par un arrêté du maire.

Si une telle délibération n’intervient pas dans un délai de 6 mois, la propriété de l’immeuble revient à l’Etat et est constatée par arrêté préfectoral.

Les bois et forêts acquis dans ces conditions sont soumis au régime forestier prévu à l’article L. 211-1 du code forestier à l’expiration d’un délai de 5 ans à compter de l’incorporation dans le domaine communal ou du transfert de propriété dans le domaine de l’Etat. Dans ce délai, il peut être procédé à toute opération foncière.

3°) Les modalités de revendication des immeubles sans maître

> Sort des immeubles acquis de plein droit par les communes/EPCI ou par l’Etat/le CELRL/le CREN

Le régime de droit commun prévoit que dans le cas où le propriétaire initial du bien ou ses ayants droit se manifesteraient postérieurement à la date d’acquisition de ce bien par une personne publique, dans les limites de la prescription trentenaire, celle-ci a l’obligation de le restituer.

> Sort des biens acquis à l’issue de la procédure prévue à l’article L. 1123- 3 du CG3P

Par exception au régime de droit commun, lorsque la propriété d’un immeuble a été attribuée à une commune/un EPCI ou, à défaut, à l’Etat, au CELRL ou à un CREN à l’issue de la procédure décrite à l’article L. 1123- 3, l’ancien propriétaire ou ses ayants droit qui se manifestent dans les limites de la prescription trentenaire ne sont plus en droit d’en obtenir la restitution si le bien a été aliéné ou utilisé d’une manière ne permettant pas cette restitution (par exemple, immeuble affecté à un service de l’Etat ou remis en dotation à un établissement public national).

Il ne peut, dans ce cas, obtenir que le paiement d’une indemnité représentant la valeur de l’immeuble au jour de l’acte d’aliénation ou, le

cas échéant, du procès-verbal constatant la remise effective de l’immeuble au service ou à l’établissement public utilisateur.

A défaut d’accord amiable, l’indemnité est fixée par le juge compétent en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.

La restitution du bien ou le paiement de l’indemnité est subordonné au paiement par le propriétaire ou ses ayants droit du montant :
– des charges qu’ils ont éludées depuis le point de départ du délai de trois ans fixé à l’article L. 1123-3 (taxes foncières, par exemple) ;

– des dépenses engagées par la commune/l’EPCI, ou l’Etat/le CELRL/le CREN au titre de la conservation du bien.

Les articles L.1123-3 et L.2222-20 du CG3P sont applicables aux immeubles à l’égard desquels la décision de constatation de vacance est intervenue postérieurement au 1er juillet 2006 (II de l’article 11 de l’ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006).

Sources: portail de l’Etat au service des collectivités locales

1 Reply to “Qu’est-ce qu’un bien sans maitre?”

  1. Prescription acquisitive : l’entretien et l’occupation, de manière continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire d’un terrain durant plus de trente ans permet d’en revendiquer la propriété (Cour de cassation, 3eme chambre civile, 15 septembre 2015, N° de pourvoi : 14-14703).
    Ceci dit, sympa la maoeuvre de la mairie pour s’octroyer un bien immobilier à moindre coût…

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